Solanum tuberosum
Ma madeleine de Proust est une patate.
Quand l'été a jauni, fané les feuilles des tubercules, il est temps d'aller au champ pour récolter. Il nous faudra la vieille charrette vert menthe. Tout le reste de l'année, elle est remisée sous l’appentis à toit de tôle, à côté d'une table à rempoter. Pour rejoindre le champ, il suffit de descendre la rue d'en face, tourner à droite sur quelques dizaines de mètres et s'engager sur un large chemin caillouteux entre la maison d'une grand-tante et l'enclos de ses oies. Quand on tourne à gauche un peu plus loin, le chemin rétrécit et devient enherbé. Il fait chaud, les hautes herbes jouent avec mes mollets. Je marche le regard bas, je crains les orties. Dix mètres plus loin, les murs des maisons s'effacent, la vue se dégage et permet enfin d'apercevoir l'ensemble des jardins ouvriers. En fait, cela ressemble à un très grand champ. Quelques chemins le parcourent mais aucune réelle délimitation. Seuls quelques habitués connaissent la répartition précise entre les usagers.
Mon grand-père a commencé à retourner la terre. Je commence à ramasser les patates. Je les frotte une par une pour enlever grossièrement la terre et les pose dans le seau. Je regarde chacune. A-t-elle pris un coup de bêche ? Ma hantise : Leptinotarsa decemlineata. Je déteste quand, agrippant une pomme de terre, un doryphore se retrouve entre mes doigts. Ils sont pourtant beaux bardés de leurs rayures jaunes et noires. Loin de moi je les admire, mais leur toucher me répugne.
Une fois le seau plein, on le vide dans la charrette et on recommence. Une fois la charrette pleine, on la remonte à la maison. Nous sommes en montée, la fatigue ajoute au poids de la charrette pleine. Le retour n'a pas du tout la même saveur que l'aller. Une fois arrivés, on étale quelques temps les pommes de terre au soleil avant de les mettre à la cave. Mission terminée. Enfin il en faudra plusieurs comme ça pour constituer le stock de l'année.
Et que mangera-t-on demain midi ? Des frites, évidemment !
Ma madeleine de Proust est une patate.
Quand l'été a jauni, fané les feuilles des tubercules, il est temps d'aller au champ pour récolter. Il nous faudra la vieille charrette vert menthe. Tout le reste de l'année, elle est remisée sous l’appentis à toit de tôle, à côté d'une table à rempoter. Pour rejoindre le champ, il suffit de descendre la rue d'en face, tourner à droite sur quelques dizaines de mètres et s'engager sur un large chemin caillouteux entre la maison d'une grand-tante et l'enclos de ses oies. Quand on tourne à gauche un peu plus loin, le chemin rétrécit et devient enherbé. Il fait chaud, les hautes herbes jouent avec mes mollets. Je marche le regard bas, je crains les orties. Dix mètres plus loin, les murs des maisons s'effacent, la vue se dégage et permet enfin d'apercevoir l'ensemble des jardins ouvriers. En fait, cela ressemble à un très grand champ. Quelques chemins le parcourent mais aucune réelle délimitation. Seuls quelques habitués connaissent la répartition précise entre les usagers.
Mon grand-père a commencé à retourner la terre. Je commence à ramasser les patates. Je les frotte une par une pour enlever grossièrement la terre et les pose dans le seau. Je regarde chacune. A-t-elle pris un coup de bêche ? Ma hantise : Leptinotarsa decemlineata. Je déteste quand, agrippant une pomme de terre, un doryphore se retrouve entre mes doigts. Ils sont pourtant beaux bardés de leurs rayures jaunes et noires. Loin de moi je les admire, mais leur toucher me répugne.
Une fois le seau plein, on le vide dans la charrette et on recommence. Une fois la charrette pleine, on la remonte à la maison. Nous sommes en montée, la fatigue ajoute au poids de la charrette pleine. Le retour n'a pas du tout la même saveur que l'aller. Une fois arrivés, on étale quelques temps les pommes de terre au soleil avant de les mettre à la cave. Mission terminée. Enfin il en faudra plusieurs comme ça pour constituer le stock de l'année.
Et que mangera-t-on demain midi ? Des frites, évidemment !























































Apparus à la fin du XIXème siècle, les jardins ouvriers sont alors mis à disposition ou loués aux ouvriers pour leur permettre d'améliorer leurs conditions de vie et notamment leur autonomie alimentaire. Selon certains historiens, les promoteurs de l'époque, l'Eglise et le patronat, espéraient ainsi focaliser le temps libre des ouvriers. Quelques soient leurs raisons d'être, ces jardins sont aujourd'hui à la fois un symbole du lien à la terre et un symbole de la classe ouvrière. Qu'en est-il aujourd'hui au XXIème siècle ? Alors que les services ont pris le pas sur l'industrie, que l'évolution des métiers et l'urbanisation ont complètement redistribué les cartes. Que représentent encore ces îlots verts, ces jardins ouvriers devenus familiaux ? Pour l'auteur, ce sont aussi des lieux de mémoire qui ramènent aux étés passés au champ avec ses grands-parents.
L'approche documentaire menée ici se focalise sur les jardins familiaux et leur esthétique, une manière de questionner leur place dans les paysages, la société et l'urbanisme d'aujourd'hui. Les prises de vue ont été réalisées entre février et juin 2024 en Loire-Atlantique (Nantes, Rezé, Bouguenais, Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, la Chevrolière, Donges, Montoir de Bretagne, Saint-Nazaire). Les 54 clichés de la série couvrent 14 jardins du 44.
Ce projet a été mené avec le mentorat de François TAVERNE, photographe et enseignant aux Beaux-Arts de Nantes-Saint-Nazaire depuis 2008. Le livre "Au champ" a été publié fin 2024.

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