
C’est en 1866, sous le Second Empire, que Victor Duruy, alors ministre de l’Instruction publique, prescrivit de couper chaque demi-journée d’école par un temps de repos de dix à quinze minutes à passer à l’extérieur, dans la cour. Ses arguments pour défendre cette innovation : lutter contre l’immobilité du corps et la fatigue de l’esprit imposées pendant plusieurs heures consécutives. La récréation était née ! Quelques années plus tard, Jules Ferry l’inscrivait dans la loi. Depuis, la récréation et la cour où elle se déroule sont devenues centrales dans la vie des élèves. Chaque matin et chaque après-midi, ils attendent, impatients, le son de la cloche ou le signal de l’enseignant qui les autorisera à se déployer, telle une volée de moineaux, aux quatre coins de ce territoire où ils s’apprêtent à vivre de grandes aventures…
Assez curieusement, le spectacle qu’offre une cour de récréation en 2019 n’est pas si différent de celui qui pouvait s’y dérouler aux siècles derniers. « Les billes, la marelle, l’élastique et la corde à sauter, notamment, semblent avoir traversé les décennies sans connaître de grandes mutations », note Christine Brisset, maître de conférences et chercheure en psychologie et sciences de l’éducation. « Ces jeux de cour font l’objet d’une double transmission. D’abord entre les enfants eux-mêmes, les plus jeunes observant les plus âgés et reproduisant leurs pratiques ludiques. Mais aussi entre les générations, les grands-parents et parents considérant d’un œil bienveillant ces jeux auxquels ils ont eux-mêmes joué : ils encouragent ainsi les enfants à se les approprier et, parfois, leur transmettent un objet symboliquement fort, par exemple un sac de billes conservé de leur propre enfance », ajoute-t-elle.
D’autres jeux, immuables eux aussi, ont simplement été revisités et mis au goût du jour par un marketing habilement opportuniste. « C’est très flagrant avec la classique toupie devenue aujourd’hui hand spinner, un disque que l’on fait tourner entre les doigts », décrit la chercheuse. On observe aussi cette évolution dans les indéboulonnables « jeux d’attrape » organisés autour de gentils et de méchants se poursuivant mutuellement. « Ils peuvent être très influencés par des personnages de dessins animés et de jeux vidéo importés dans la cour de récré et mis en scène dans ces parties de poursuites », constate-t-elle. Mais malgré un « habillage » plus contemporain, la philosophie du jeu reste la même : se courir après, entrer en contact, se toucher, se mesurer les uns aux autres. Ces jeux de cour de récré, souvent considérés par les adultes avec une pointe de condescendance, sont pourtant moins insignifiants qu’il n’y paraît. « À travers eux, les enfants sont porteurs d’une véritable culture, peu étudiée mais qui participe de la culture d’un pays », insiste Julie Delalande, ethnologue, professeure des universités en sciences de l’éducation.
Ce qui se joue dans la cour de récréation
Par Isabelle Gravillon CAIRN.info
Par Isabelle Gravillon CAIRN.info
A tous ceux qui aujourd’hui imputent la constitution de bandes au seul phénomène des banlieues, je dis : vous avez raison, oui, le chômage, oui, la concentration des exclus, oui, les regroupements ethniques, oui, la tyrannie des marques, la famille monoparentale, oui, le développement d’une économie parallèle et les trafics en tout genre, oui, oui, oui … Mais gardons-nous de sous-estimer la seule chose sur laquelle nous pouvons personnellement agir et qui, elle, date de la nuit des temps pédagogiques : la solitude et la honte de l’élève qui ne comprend pas, perdu dans un monde où tous les autres comprennent.
Nous seuls pouvons le sortir de cette prison-là, que nous soyons ou non formés pour cela.
Les professeurs qui m’ont sauvé – et qui ont fait de moi un professeur – n’étaient pas formés pour ça. Ils ne se sont pas préoccupés des origines de mon infirmité scolaire. Ils n’ont pas perdu de temps à en chercher les causes et pas davantage à me sermonner. Ils étaient des adultes confrontés à des adolescents en péril. Ils se sont dit qu’il y avait urgence. Ils ont plongé. Ils m’ont raté. Ils ont plongé de nouveau, jour après jour, encore et encore … Ils ont fini par me sortir de là. Et beaucoup d’autres avec moi. Ils nous ont littéralement repêchés. Nous leur devons la vie.
Daniel Pennac, chagrin d’école.