
Cette photo a été prise quelques jours avant que Damien, le propriétaire, ne ferme définitivement son bar restaurant au cœur de Saint Colomban (44). Il avait ouvert « Les Vignes » près de 40 ans plus tôt. A cette même époque, Pierre Desproges déconseillait la consommation d’eau et publiait le texte suivant, Aqua simplex :
"En serrant les dents, il m’arrive couramment de supporter sans broncher la misère effroyable du Tiers-Monde, la menace imminente d’une lumineuse apocalypse thermonucléaire, voir même l’inamovible sottise des cuistres au pouvoir chez nous. Mais la compagnie d’un buveur d’eau, non, décidément, je ne puis m’y faire. Que Madame Evian, Monsieur Badoit et la Compagnie des robinets me pardonnent, mais le produit dont ils inondent -c’est le cas de le dire- le marché ne vaut rien à l’honnête homme. L’indigence crasse de mon savoir scientifique ne m’autorisera jamais à déceler quelles particules toxiques se cachent dans ce subtil mélange chimique d’hydrogène et d’oxygène constituant l’aqua simplex, maison on ne m’ôtera pas de l’idée qu’il y a dans l’eau un goût étrange qu’on ne retrouve pas dans le Château Lascombes 76. Cette saveur singulière de l’eau, faite d’indigence aromatique et de fadeur outrancière, est due, selon toute vraisemblance, à un composant toxique, qu’en l’état actuel de leur connaissances les fouineurs de l’Institut Pasteur n’ont pas su encore isoler, mais dont les effets, extrêmement toxiques, sur le comportement psychosocial de l’homme en général restent fort alarmantes. Aussi est-il plus que temps de tirer aujourd’hui le signal d’alarme. C’est pourquoi, au risque de m’attirer les foudres de la Faculté et du Syndicat des garçons de bain en eau douce, je ne crains pas de l’affirmer ici haut et fort : l’eau est vénéneuse. Elle contient un autodépresseur suractif dont la consommation régulière peut conduire l’homme au suicide, au meurtre, voire même à s’abonner à Jours de France. L’abus de l’eau est d’autant plus dangereux qu’il entraîne à la longue, chez l’hydromane, une dépendance quasi irréversible qui peut pousser le malade aux pires excès. Certes, l’eau est plus digeste que l’amanite phalloïde et plus diurétique que la purée de marrons. Mais ce sont là futiles excuses de drogués. D’autres vous diront que la cocaïne est moins cancérigène que l’huile de vidange. N’en tenez pas compte. Faites comme moi. Ménagez votre santé. Buvez du vin, nom de dieu ! Et quand l’appel sournois et satanique de l’eau viendra vous tenter l’épiglotte, au hasard d’un égarement fortuit dans le désert des Tartares, ne cédez pas. Ne vous jetez pas à l’eau que le chamelier ou l’oasis viendrait à vous procurer. Serrez les dents. N’oubliez jamais que Bourgueil est à moins de 15.000 km de la Tartarie, à vol d’oiseau. Et rappelez-vous que les plus grands criminels de l’Histoire ont tous été des buveurs d’eau : Caligula siphonnait les fontaines du Colisée entre deux orgies patriciennes. Napoléon se faisait péter la sous-ventrière à la Vitelloise pour éliminer ses toxines impériales. Quant à Adolf Hitler, contrairement à ce qu’affirment les anti-nazis primaires, ce n’est pas pour le plaisir de pisser dans la Vistule qu’il envahit la Pologne, mais pour noyer sa tristesse de Chopin à la source claire des ruisseaux varsoviens."
Pierre Desproges Aqua Simplex, dans Encore de Nouilles